Delphine Grandsart
J’ai grandi à la marge d’un monde qui m’a toujours paru absurde et qui m’a conduite à préférer la compagnie de ceux que l’on met un peu trop facilement dans la case des infréquentables. J’ai connu l’école de la rue, celle qui t’oblige à vivre à livre ouvert sans faux-semblant, celle qui te cogne aux inégalités. J’ai ainsi passé mon enfance et mon adolescence dans les milieux alternatifs où seules comptaient notre rage de vivre et notre rébellion contre les diktats d’une société où nous ne trouvions pas notre place.
Puis ma rencontre avec la culture, le théâtre en particulier a été une deuxième naissance. J’ai réalisé qu’il existait un ailleurs meilleur où la révolte pouvait laisser place à l’imagination et à la création. Une soif d’apprendre s’est alors emparée de moi, tout dévorer, les livres, les films, la peinture, la musique, toutes ces choses auxquelles je n’avais pas accès auparavant sont devenues mes nouveaux compagnons de route. Proust écrivait : « la lecture est une amitié » et comme il avait raison. J’avais enfin trouvé l’arme qui me servirait à apaiser cette rébellion qui aurait pu me faire basculer du côté obscur de la force…
J’ai repris mes études loin des bancs de l’école par correspondance d’abord puis sur ceux de la faculté de Nanterre jusqu’à l’obtention de la maîtrise d’Etudes Théâtrales avec pour directeur de maîtrise l’incroyable Robert Abirached qui m’a fait tant aimée la politique culturelle. Avant cela, j’ai suivi des cours en art dramatique au Conservatoire National de Région à Versailles avec Danielle Dubreuil qui a accueilli l’adolescente que j’étais en faisant de mes différences une force… J’y ai obtenu les 1ers prix et les prix d’honneur classique et moderne et je mentirais si je n’avouais que ce fut une véritable fierté, moi qui n’avais jamais eu de diplôme auparavant.
Avant d’interrompre une première fois ce métier pour exercer une autre de mes passions, la restauration (là aussi il s’agit de partage et de rencontres humaines), j’ai toujours privilégié le travail avec les auteurs vivants.
Puis, je me suis retrouvée propulser dans des grosses productions comme comédienne pendant plusieurs années. Comment pourrais-je oublier ce travail formidable avec Sam Mendès pour Cabaret, le musical de Broadway qui m’a permis de découvrir la danse et la musique ?
En 2016, ma rencontre avec l’autrice Delphine Gustau qui m’a écrit le rôle de Louise Weber dite La Goulue a été LE déclic (je ne crois qu’aux rencontres mais pas à leur hasard…) : et parallèlement à mon métier de comédienne où je continue d'être un électron libre, n'appartenant à aucune chapelle, une association a vu le jour afin de proposer des projets où l’humain, le partage et la transmission seraient au centre de toute création.
Tisser du lien avec ceux qui sont éloignés de la culture, proposer des projets qui sont avant tout des aventures humaines (avec des artistes et un public de tous horizons) et qui questionnent notre place dans ce monde sont devenus LE SENS et L’URGENCE.
Enfant des cités minières puis de la banlieue, ayant côtoyé la violence et l'injustice par le passé, je mesure à quel point la culture m'a sauvée la vie et qu'elle devrait être à la base de toute éducation. Sans elle, l’enfant que je fus aurait sans doute mal tourné. Alors si être « artiste » a un sens, si cette association a vu le jour grâce à la réunion de membres qui partagent les mêmes valeurs que moi, c’est dans cette volonté de démocratiser ce qui devrait être aussi vital que boire ou manger et de célébrer l’humain : s’intéresser à ses vertus sans condamner ses vices comme l'écrivait Spinoza et surtout comprendre avant de juger.